Une vie

Je me souviens que ,quand j'étais petite,j'étais heureuse malgrè la pauvreté de ma famille.Je rêvais beaucoup.Le tapage de mes frères et soeurs,la voix de mon père ,toujours grondant et hurlant,les chuchotements craintifs de ma mère ne m'avaient jamais empêchée de briser les cloisons et de m'évader,là-bas, dans le lointain.
Je rêvais,je rêvais,je rêvais....à une vie paisible et tranquille..,et aisée,sans en avoir vraiment une image précise.C'était vague et délicieux.Une vie colorée, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.Une vie lumineuse,brillante,comme une nuit éclairée par une lune d'or.
Je continuais à rêver,au milieu de ma pauvreté.Je ne souffrais pas.Je planais.Des années durant,j'étais ballottée entre ciel et terre.
Un jour,je me réveillai.Je ne savais plus combien de temps avait duré mon sommeil.ce jour-là,j'avais en poche une licence et des mentions.Mais personne n'en avait voulu.Je passai concours sur concours.Non,on ne m'attendait pas.On n'avait pas besoin de moi.La réalité amère détruisit toutes mes illusions.Alors,je redescendis sur terre.Définitivement.
Plus tard,j'eus l'occasion d'enseigner dans une école privée,contre un salaire dérisoire.Un voisin que je n'avais jamais remarqué,me remarqua pourtant et demanda ma main.Je ne savais pas pourquoi:je n'étais ni belle ni riche et je n'avais pas un bon salaire.Il avait exactement le même portrait.Nous nous mariâmes.Sans histoire.Je décidai alors que c'était notre destin ,et je l'acceptai.
Des années passèrent.Nous eûmes quatre enfants et beaucoup de difficultés.
Un matin,passant devant un miroir,je m'arrêtai,terrifiée par le visage que j'aperçus sur ce morceau de glace vieilli dont les bordures commençaient à noircir.Les pommettes étaient tombantes,les yeux enfoncés dans leur orbite,la peau ridée et sèche.
Le fantôme essaya d'esquisser un sourire.Ce fut une grimace.Désolante et pathétique.Une larme coula de ses yeux,que je sentis ,chaude,sur ma joue.
Je venais d'avoir trente ans.