La Nourrice :Personnage traditionnel du théâtre grec, mais inexistant dans la pièce de Sophocle, elle a été créée par Anouilh pour donner une assise familière à la pièce, et davantage montrer l'étrangeté du monde tragique. Avec elle, ni drame ni tragédie, juste une scène de la vie courante, où la vieille femme, affectueuse et grondante, est une "nounou" rassurante, qui ne comprend rien à sa protégée : "Tu te moques de moi, alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale caractère." (p. 20). Elle "a élevé les deux petites".
Le Messager :C'est un "garçon pâle [...] solitaire". Autre personnage typique du théâtre grec, il apparaît dans la pièce de Sophocle. Il se borne à être la voix du malheur, celui qui annonce avec un luxe de détails la mort d'Hémon. Dans le récit du Prologue, il projette une ombre menaçante : "C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà..." (p. 12)
Le Chœur Ce personnage joue aussi le rôle de messager de mort, mais son origine le rend plus complexe. Dans les tragédies grecques, le chœur est un groupe de plus d'une dizaine de personnes, guidé par le personnage du Coryphée. Il chante, danse peut-être, et se retrouve le plus souvent en marge d'une action qu'il commente.
Dans
Antigone, le Chœur est réduit à une seule personne, mais a gardé de son origine une fonction collective, représentant un groupe indéterminé, celui des habitants de Thèbes, ou celui des spectateurs émus. Face à Créon, il fait des suggestions, qui toutes se révèlent inutiles.
"Ne laisse pas mourir Antigone, Créon ! Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des siècles. [...] C'est une enfant Créon. [...] Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire qu'elle est folle, l'enfermer ? [...] Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps, la faire fuir demain ?" (pages 99 à 102)
Comme dans le théâtre antique, le chœur garde également une fonction de commentateur. Isolé des autres personnages, il se rapproche du Prologue : il scande l'action pratiquement dans les mêmes termes. "
Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul." (p. 53) "
Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini." (p. 122) Son "voilà" bat la mesure d'un mouvement que le "Voilà" du Prologue avait mis en branle.
Autres personnages :- "les deux fils d'Œdipe, Etéocle et Polynice" : "se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville" :
- "Etéocle l'aîné" : " le bon frère", "le fils fidèle d'Œdipe", "le prince loyal", il a eu d'imposantes funérailles
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène, "un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice", "deux larrons en foire", "deux petits voyous"
- "Madame Jocaste" maman d'Antigone
- Douce, sa chienne
Jean Anouilh :Jean Anouilh (1910 - 1987) est un auteur d'athée, qui représente la vieille France éternelle. En 1959, quinze ans après Antigone, il choisit une voie nouvelle et suit les pas de William Shakespeare (1564-1616) - poète et dramaturge anglais, auteur d'une des plus grandes œuvres de la littérature universelle - en écrivant
Becket ou l'Honneur de Dieu, l'histoire est donc à nouveau prétexte à une création originale. La pièce, qui obtient un triomphe dès sa première représentation, sera adaptée au cinéma en 1964, puis reprise en 1971 à la Comédie-Française. C'est la scène la plus bouleversante du théâtre contemporain. Bruno Cremer et Anouilh forment un couple, Anouilh est comme un petit-frère pour Cremer. Chez Anouilh, la psychologie n'a pas d'importance. Shakespeare - pour Anouilh, c'est une lointaine connaissance - lui donne une leçon de liberté théâtrale. Dans
Hamlet (
extrait), la scène de la mère est comme une obscession.
De 1915 à 1928 : son père était immobilisé pour la Grande Guerre, il était seul avec sa mère, pianiste et violoniste, il pouvait donc aller partout. C'est un enfant qui ne peut s'endormir sans le retour de sa mère.
Son théâtre fait froncer le nez des intellectuels.
Dans
L'arrestation, il a dit (lors d'un entretien)que ça pue l'amour avec des casinos bien propres. C'est la pièce la plus complexe du théâtre français, Anouilh a réussi à faire dialoguer tous les personnages de son œuvre.
Dans
Colombe, il exprime qu'"il n'y a d'amour qu'absolu" et que la famille c'est ignoble.
En 1932, dans
l'Hermine, jouée entre autre par Pierre Fresnay, il exprime le "non" à la vie, que les choses laides, toutes les images sales, tout les tristes mots restent à jamais gravés dans nos mémoires, et qu'"on est jamais sincères". Lui même a subi la blessure inguérissable de la pauvreté et Louis Jouvet a approfondi sa blessure en l'appelant "le miteux". Anouilh dit qu'il a un œuil de faune. Anouilh est accueilli par Georges Pitoëff vers 1936-1937, Anouilh avait alors avec lui
le Voyageur sans bagages. Ils ont passé deux heures extaordinaires ensemble, ils étaient aussi timides l'un que l'autre. Pitoëff est dans le Cartel, le plus grand découvreur qui existe. Les Pitoëff montent et jouent
la Sauvage d'Anouilh (écrite en 1934).
Anouilh rencontre ensuite André Barsacq sur la scène de
comédie des Champs-Élysées, le futur metteur en scène d'Antigone, c'est "le seul compagnon de ma jeunesse" écrit Anouilh. Ils avaient qu'un an de différence d'âge.
Ils connaissent un succès triomphal en 1938 avec
Le Bal des voleurs que monte André Barsacq. Ils sont tous les deux myopes et ont donc des lunettes. Et Ils sont complémentaires si bien qu'ils sont appelés "les jumelles".
Barsacq était le disciple de Charles Dullin, un personnage exceptionnel. C'était alors la Belle Epoque, une époque de poètes.
Pour Anouilh, le théâtre était un lieu hanté, palpable seulement par lui, le seul lieu où la vie humaine est stable. C'était sa demeure principale, le lieu qui lui convenait par execellence, le lieu où il réalisait ses fantasmes et où il a rencontré toutes les personnes qui ont été importantes dans sa vie, des gens innatendus comme Jean Vilar, alors que leurs chemins étaient opposés.
En 1944,
Antigone fit un coup de tonnerre, où Suzanne Flon a joué dans le rôle d'Ismène et où Barsacq a réalisé la mise en scène. La pièce a été jouée à la lumière du jour, par un froid de canard, elle était éclairée grâce à un système de miroirs et lors de la fin de la pièce, le soleil se couchait et la nuit tombait. C'était un courage inouï de jouer une pièce sur la révolte alors que la France était occupée.
Antigone a été un évènement sublime alors que personne ne croyait à la pièce, pas même Anouilh et Barsacq, et personne n'avait applaudi lors de la première représentation à la fin de la pièce. Anouilh lui même regrettait d'avoir écrit
Antigone et il disait que c'était catastrophique pour lui. Un soir, Anouilh et Barsacq ont distribués des tracts de Résistance, ce qui a étonné les spectateurs, mais la presse clandestine accuse Anouilh de collaboration. Le public était partagé, la pièce avait une résonnance étrange. Anouilh se défend d'avoir sympathiser avec les pro-nazis, mais il affiche une certaine compassion pour les vaincus et dénonce les excès de l'épuration. Il organise d'ailleurs, une campagne de signatures pour sauver l'écrivain collaborationniste Robert Brasillach qui a été condamné à mort en février 1945, mais sa tentative a échouée et son exécution le marque profondément. Sa vision devient extrêmement noire.
En 1956, il écrira une pièce sur Robespierre, alors qu'il n'accrochait pas tellement et qu'il avait grommelé, qu'il a intitulé
Pauvre Bitos ou Le Dîner de têtes. Le personnage de Bitos était une sorte d'insecte pour Anouilh et il devait parler d'une voix fausse. Il y dénonce les procès politiques - y compris ceux de la Libération. C'est sans doute pourquoi, la pièce a fait un scandale. Il y a même des gens qui tapaient avec leurs cannes sur sa voiture. Gautier l'accuse de fascisme. Les spectateurs sortent en colère mais ils en sont contents. Anouilh dit lui-même que l'étiquette politique qu'il porte est absolument scandaleuse. Il va porter la blessure de cette pièce pendant un cetain temps. Ensuite, il en riait avec son "rire du sage", et il a choisi le comique avec
Ardèle ou La Marguerite.
L'époque de l'épuration lui a donné une image noire des humains. Sa vision est devenue encore plus noire lorsqu'il a essayé de trouver des signatures pour sauver Robert Brasillach, le rédacteur en chef de
Je suis partout pendant l'Occupation, et qu'il a échoué, la feuille était presque vide de signatures. Brasillach fut fusillé pour faits de collaboration.
Dans
L'Hurluberlu ou Le Réactionnaire amoureux, son rire est très célinien. Ce regard est servi en même temps par Georges Feydeau. Il n'y a que lui qui a parlé de la condition humaine.
Anouilh avait une grande tendresse envers Marcel Pérez : "Point de Pérez, point de salut" (J. Anouilh)
Il écrit ensuite
Le Boulanger, La Boulangère et le Petit Mitron. Anouilh aurait aimé être acteur, Périer écrit : "Il était jaloux de ne pas pouvoir le faire". Il aurait adoré être acteur et auteur mais il n'a peut-être pas osé à cause de sa timidité. On remaque dans son théâtre que ses didascalies sont précises, c'est d'ailleurs le lien rêvé entre le public et l'acteur, lien difficile, faire des pièces de théâtre n'est pas comme être écrivain.
Lors des répétitions de
L'Arrestation, il insiste pour que le mystère soit là, pour ne pas qu'il y ait du policier. Pour Anouilh, il n'y a rien de définitif au théâtre, il faut essayer. Quelqu'un d'ailleurs lui a dit qu'"Il fallait faire des pièces comme on fait des meubles." Lors des répétitions générales, il disparaissait discrètement sans que les acteurs s'en rendent compte. Les acteurs et les décorateurs forment une vraie famille avec Anouilh. Un d'entre eux a raconté qu'a partir de la déformation de la caricature, il fait du vrai, qu'"Il a un muscle fantastique", les acteurs sortent épuisés d'une pièce d'Anouilh. Pour lui, la caricature est l'expression éclatée, exacerbée du personnage ; la réaction c'est rigolo, ce n'est pas si grave ; et les personnages de théâtre forment un monde d'insectes, représentatif d'une caricature de l'homme. Dans
Le Scénario, il a montré ce qui s'est passé dans sa tête à un moment précis. C'est le premier auteur de vraie dérision. Il a d'ailleurs soutenu Ionesco, qui était pour Jean-Jacques Gautier, "un plaisantin".
Les Poissons rouges est une pièce goguenarde.
Anouilh était narchiste (veut un pouvoir autoritaire, opposé à anarchiste) et défendu par les gens de droite, les conservateurs. Pour lui, les personnages sont des masques. Anouilh a une tête de guignol, il fait un théâtre de singe, mais c'est beau.
Source : Cette biographie provient d'informations notées lors d'une émission sur Jean Anouih, de la série Un siècle d'écrivains, diffusée sur France 3